L’échec typique de l’entreprise française en Chine se résume en cet état d’esprit : « mon produit est objectivement meilleur et cela devra suffire ».
Mais tout a changé en trente ans. Des importateurs ont fait fortune dans les années 90 et 2000, profitant d’un marché vide et d’une économie en pleine croissance. Le label français suffisait à convaincre les distributeurs et les consommateurs : le vin, les cosmétiques, les produits laitiers, et bientôt les marques de luxe, l’équipement industriel : la France a connu vingt ans d’Eldorado mais le marché s’est empli de nouveaux acteurs, étrangers et locaux, donnant au consommateur chinois l’accès à une offre de plus en plus variée. Suite à cela, est arrivé ce qui arrive de plus naturel en économie : le marché a évolué et avance vers la maturation. Seulement cette évolution est si rapide en Chine que nous ne pouvons le percevoir que difficilement depuis la France. Nous l’entendons, nous le comprenons peut-être, mais on nous ne l’assimilons pas encore tout à fait. Aujourd’hui, et principalement grâce aux ventes en ligne, le consommateur chinois a accès une très large variété de produits, probablement même plus que l’européen, et à une masse d’informations (de prix, de composition, d’origine) impitoyable avec les marques. Diversifié et transparent, le marché a tout d’un marché libéral, ou presque, car de sa main puissance et intransigeante, l’Etat peut mettre fin à une épopée entrepreneuriale du jour au lendemain ou réduire un segment ou un marché complet à néant en l’espace d’un mois si c’est dans l’intérêt de ses grandes orientations politiques. A l’inverse, il peut, d’un coup de baguette magique, créer une nouvelle ruée vers l’or pour une industrie qu’il souhaite encourager. Le marché chinois est donc libéral mais dans les conditions qu’imposent l’intérêt général du pays, vu par le gouvernement central. Dans un marché diversifié, transparent, et orienté, pour espérer prospérer ou se développer en Chine, il faut donc d’abord être au fait des grandes lignes stratégiques du gouvernement et se positionner en fonction de celles-ci, puis être capable de se mettre à la hauteur d’une féroce concurrence en termes de produits et de marketing. Non, être le meilleur techniquement n’est plus suffisant, avoir la plus belle image de marque non plus : il vous faudra allier les deux, et il vous faudra même faire des compromis sur vos prix car les distributeurs sont gourmands. Les réseaux de distribution chinois sont souvent complexes et opaques : vos partenaires auront besoin de suffisamment de marge sur leurs prix pour trouver leurs propres revendeurs et laisser filer quelques pots de vin. Le bon état d’esprit serait « je crois en mon produit, c’est le meilleur, mais je vais devoir jouer des coudes constamment pour que les consommateurs y croient sur la durée, et être flexible sur mes prix pour convaincre les distributeurs de m’aider ».
La vitesse et la réactivité sont deux autres caractéristiques nécessaires à une entreprise étrangère qui réussit en Chine. Pendant mes missions de coordinations d’affaires, mon travail était fondamentalement de presser les français, et de retenir et ralentir les chinois, leur expliquant la retenue française. La réelle barrière culturelle qui existe entre la France et la Chine dans le monde des affaires n’est ni la langue, ni l’éthique, c’est le rythme. Les « trente glorieuses chinoises » ont eu lieux grossièrement de 1990 à 2020 : période pendant laquelle les pays européens sont devenues des économies globalement stagnantes et victimes de nombreuses crises consécutives. Partant de cela, l’état d’esprit des entrepreneurs des deux pays est tout à fait différent. Les chinois n’ont connu que cette dernière période de folle croissance où les crises ne concernaient que les autres, où la demande doublait l’offre, et où la médiocrité n’empêchait pas de s’enrichir. Dans ce contexte, pas besoin de prendre trop de précautions : « ça passera » ; pas besoin de s’inquiéter pour la trésorerie : « on trouvera du financement ». Alors quand les français rencontrent les chinois, on se retrouve avec dimensions et des états d’esprit bien différents. Les français, à raison, auront besoin de temps pour évaluer tous les risques, prépareront un business plan pour chaque nouveau produit, seront réticents à investir dans un nouvel emballage sans garanties de ventes, imposeront des minimums de commandes (MoQ) rassurants. Les chinois, eux, auront simplement un ami qui leur a parlé d’une opportunité à saisir : ils voudront sauter sur l’occasion pour ne pas être devancés. Ils ne comprendront pas votre rythme qu’ils prendront pour un refus. Ils n’attendront pas, et iront vite se tourner vers d’autres alternatives. Or dans le contexte concurrentiel présent, les alternatives ne manquent pas. Quand on travaille avec les chinois, on doit se rapprocher au mieux de leur rythme, et prendre effectivement quelques risques. A vous ensuite d’évaluer si le jeu en vaut la chandelle.
Une fois assimilées ces idées, on peut penser au « comment ».
Les PME qui viennent en Chine pensent le plus souvent à trois options : travailler avec un distributeur, s’associer à un partenaire local à travers une Joint-Venture, ou s’implanter soi-même en créant son entité indépendante en Chine. Chacune de ces solutions a naturellement ses avantages et inconvénients : tentons d’expliquer :
En choisissant de passer par un ou des distributeurs, vous optez pour l’option la moins coûteuse et la plus pratique. Dans le meilleur des mondes, si vous avez la chance de trouver un agent exclusif fiable pour tout le marché chinois, alors vous n’aurez qu’à lui fournir des informations et attendre ses commandes.
La condition de l’exclusivité vous sera demandée presque systématiquement, et il vous faudra faire preuve d’ingéniosité pour limiter vos risques. Les informations sont difficiles d’accès en Chine, et il vous sera difficile de trouver des preuves sûres de ce qu’avance un partenaire potentiel. Vous serez soupçonneux, et vous aurez probablement raison : tous les chinois gonflent leurs chiffres. Oui, je dis bien tous. Ou si je voulais nuancer, je dirais tous ceux que j’ai eu l’occasion de côtoyer pour affaire. Presque à coup sûr, les promesses de commandes colossales sont fausses : elles sont un moyen pour eux de vous appâter ou de vous garder dans la poche, et de flatter leur ego : divisez par deux, ou plutôt par trois, et vous serez proches de la vérité. Peut-être penserez-vous à faire appel à une société de conseil qui enquêtera pour vous ? Attention, les petites sociétés de conseil qui proposent des services accessibles, n’ont pas beaucoup d’informations fiables et les grands cabinets qui achètent de vastes bases de données sont très chers. Admettons que vous ayez trouvé un partenaire qui vous inspire confiance, ma recommandation est tout de même de n’accorder qu’une exclusivité partielle : soit géographique, soit sectorielle ; et/ou, une exclusivité à durée limité et renouvelable selon les résultats.
A partir de là, accordez-lui une marge qui le satisfait, et il fera les efforts de vente pour créer le marché pour vous. Voici cependant quelques bémols, et non des moindres : Dans le contexte concurrentiel actuel, pour un intéresser un distributeur (exclusive ou non), il vous faudra lui laisser suffisamment de marge à distiller dans son réseau de vente qui est typiquement plus complexe, plus opaque, et comprends plus d’échelons qu’en Europe. La marge que vous lui laisserez devra alors suffire à le satisfaire, mais aussi à nourrir potentiellement plusieurs acteurs en aval. Les distributeurs ne sont pas communément des experts des produits qu’ils représentent, et tous vos efforts pour les convaincre de la supériorité de votre produit risqueront d’être largement éclipsés par la force des prix. De plus, la complexité et l’opacité des chaînes de distribution chinoises peut poser d’importants problèmes de communication, et nombre de ceux qui s’y sont essayés avant vous vous le diront, on n’obtient pas facilement des informations de ses distributeurs et la communication est très inefficace. Concrètement, il pourrait vous arriver que les ventes soient au plus bas, et que votre partenaire chinois ne vous en parle pas, ne vous en explique pas les raisons, qu’il vous promette monts et merveilles de chiffres pour vous garder dans sa poche en attendant d’avoir trouvé mieux, ou qu’il omette de vous indiquer qu’un de ses agents n’a passé ses dernières commandes que par des encouragements en « enveloppe rouge » qui ne peuvent persuader toute la hiérarchie d’une entreprise sur la durée. Pendant tout ce temps où vous pensiez que tout allait bien, parce qu’en France on dit : « pas de nouvelle, bonne nouvelle », vous n’avez pas réfléchi à une stratégie alternative, et dans le meilleur des cas, vous aurez perdu des mois, ou plus. On n’est jamais tout à fait à l’abri d’une cachoterie, mais on peut tenter de rester au plus près de ses partenaires en les suivant de près s’il le faut, soit en embauchant un vendeur sur place en créant une entreprise ou un bureau de représentation, soit en passant par les services d’un travailleur indépendant. Il vous est aussi possible de passer par une entreprise dite « de conseil » qui propose ce type de service, mais ayant moi-même été consultant, à mon humble avis, cette dernière solution est la plus coûteuse et pas nécessairement la plus efficace.
La puissance de vente mise en œuvre est évidemment liée aux résultats, et il peut sembler que se lier à une entreprise locale qui dispose déjà d’un réseau de vente solide minimiserait le souci de vos chiffres. La Joint-Venture, en mettant les intérêts de deux entreprises en commun, est effectivement une solution fiable et potentiellement résultant en 1+1=3 ; en théorie. En pratique, si vous n’avez pas les reins d’une multinationale, vous risquez gros. Le partenariat typique consiste en l’apport technique ou technologique de l’entité française à une structure chinoise qui produira et, ou, fera l’effort de vente sur le marché. Par exemple, si une entreprise française qu’on appellera « Béret » a un savoir-faire avancé dans la production de cocotte-minute intelligentes, et dont la suite stratégique logique est d’attaquer le marché chinois, alors peut-être que lors d’un salon de l’électroménager à Paris, un homme d’affaire flatteur mais confiant venu du bout du monde, sera venu l’aborder à son stand. Cet homme, visiblement peu intéressé par la mode, sera présenté par son interprète comme Monsieur Wang, directeur de la société « Pousse-pousse », productrice de pièces d’appareils de cuisine bien installée sur le marché. Le directeur de Béret, Monsieur Levert, est présent à son stand. Entrepreneur aguerri, il a déjà rencontré des chinois, et vend même déjà en Chine à travers un distributeur qui ne le satisfait pas vraiment car « avec un marché pareil et un produit pareil, il devrait y avoir plus de potentiel ». L’interprète de Pousse-pousse, travail de son mieux à traduire la présentation et les propositions de son directeur. Expérimenté dans les affaires, Monsieur Levert écoute attentivement et reste méfiant. Il pose des questions cruciales, des questions qui évaluent la crédibilité d’une entreprise : les bonnes questions, pour une entreprise française. Monsieur Wang ne se décontenance pas et, habillé d’amabilités, répond avec brio et confiance à l’interrogatoire. Messieurs Levert et Wang se rencontreront de nouveau quelques mois plus tard en Chine, au siège de Pousse-pousse dans le Guangzhou. Les relations sont des plus cordiales. On partage avec plaisir des repas riches et copieux et une forme d’amitié se créé. Les usines visitées plaisent à Monsieur Levert qui dit à son associé avec bienveillance et un peu de surprise : « il font du bon boulot ! ». Les analyses et plans proposés par les équipes de Monsieur Wang tiennent la route : Pousse-pousse a déjà un réseau de distribution vivant et des outils de production matures. Après deux jours de visite et lors du dernier repas, Monsieur Wang fait sa proposition finale : il suggère avec enthousiasme que Béret et Pousse-pousse se lancent dans une Joint-Venture : Béret apportera son savoir-faire, et Pousse-pousse produira et vendra. Réticent à l’idée de produire tout en Chine au risque de laisser filer son savoir-faire, Monsieur Levert, droit dans ses bottes, ne perd pas le nord, revient immédiatement à son esprit d’homme d’affaires, et précise qu’il gardera la production technique en France, et que le montage se fera en Chine. Monsieur Wang accepte, l’air d’avoir compris le souci de son hôte. Cette condition posée, Monsieur Levert reprend : « et il faudrait mettre combien ? ». Le séjour est arrivé à son terme, et il a été déterminé que Béret aurait 49% des parts dans l’entité commune, mais qu’elle n’aurait pas d’investissement financier à porter, hormis le partage des frais administratifs : l’apport français ne sera que technologique.
A ce stade de ce conte caricatural, il vous faut savoir que se marier à une entreprise chinoise à travers une Joint-Venture implique que vous ouvrirez une entité en commun sur le territoire chinois avec un capital partagé. Certains des fameux experts de la Chine, expérimentés depuis leurs moelleux fauteuils parisiens croient et vous diront que vous aurez l’obligation de laisser au moins 50% des parts au partenaire : ce n’est vrai que pour l’industrie automobile. Pour le reste, 25% à l’entreprise chinoise est le minimum requis. Mais revenons à nos cocottes…
Monsieur Levert, de retour en France, décide de réfléchir murement à la question et de faire appel à ses contacts pour quelques conseils. On l’averti à raison des arnaques possibles et des difficultés à résoudre un litige auprès des tribunaux chinois et il apprend qu’il est courant d’ouvrir la Joint-Venture à Hong-Kong où la juridiction est moins opaque. L’entité hongkongaise deviendra alors une entreprise intermédiaire qui investira ensuite en Chine continentale. Cette solution semble rassurante. Le plan est globalement bien pensé et les risques réduits. Monsieur Levert fait appel à un cabinet d’avocat spécialisé qui l’aidera dans les démarches administratives, passe commande d’une étude de marché à une société de conseil pour confirmer le potentiel, et l’aventure commence.
Après six mois de paperasses et de discussions serrées, la structure est montée, l’affaire est lancée. L’assemblage et une partie de la production démarre dans une des usines disponibles de Pousse-pousse et les négociations avec un distributeur s’achèvent. Un an plus tard, les ventes de se distributeur ont augmenté mais commencent à stagner, et il semble difficile de trouver d'autres alternatives. Une autre année passe : les ventes se font plus rares, et Monsieur Wang fait toujours bonne figure mais semble se sentir de moins en moins concerné. L’investissement n’a pas été très lourd alors Monsieur Levert n’est pas excédé outre mesure, cependant il s’attendait à mieux, et commence à s’interroger sur le contexte du marché. Dans l’optique d’aider ses partenaires chinois et, en passant, de se faire sa propre idée sur la situation actuelle, il demande une nouvelle étude à une autre société de conseil. La bonne nouvelle, c’est que le marché existe bien. La mauvaise, c’est qu’un nouveau concurrent proposant un produit presque tout à fait identique aux cocottes Béret s’est installé depuis un an… Coïncidence ? On creuse un peu, et on découvre qu’un certain Monsieur Wang serait le fondateur de ce drôle de concurrent. Tout tombe sous le sens, Monsieur Levert s’est fait berner : « ils ont ouvert la JV, lui ont monté une autre affaire en copiant mes cocottes ! Et bien sûr ils se sont gardé tous les clients ! ». Il appelle son avocat pour lui expliquer la situation, il a bien l’intention de faire payer Pousse-pousse. Monsieur Wang ne répond plus, on lance les démarches légales. Trois longues années s’écoulent, monsieur Wang finit par céder, il paiera des pénalités, mais ne laissera pas tomber sa nouvelle marque de cocotte-minute ou changera simplement le nom. Monsieur Levert a perdu quatre ans, il a perdu le marché chinois, il s’est créé un concurrent hostile, le litige lui a coûté, il ne retentera pas l’aventure de sitôt.
Monsieur Levert a gagné son procès, il a réussi à faire marcher la justice. Ce n’est donc pas que vous ne trouverez pas de solution au tribunal avec la Chine, c’est qu’avec les solutions vous y perdriez trop de temps, et partant, d’argent.
Ce cas d’école n’est qu’une grossière parodie, mais on comprendra que les JV ne sont pas à prendre à légère. Il n’est pas impossible que vous trouviez un partenaire chinois de confiance et loyal, et il serait insultant de généraliser mon propos, mais cette histoire, bien que parodique, est inspirée d’expériences réelles.
Une expression chinoise dit : « N’ai pas de mauvaises intentions, et mets-toi à l’abri de mauvaises intentions » (害人之心不可有,防人之心不可无). Si votre instinct et vos enquêtes vous poussent à faire confiance à un partenaire chinois, la JV peut être fructueuse et c’est peut-être même la plus intéressante solution car vous bénéficierez de la force d’une entreprise déjà installée dans un environnement complexe. Cependant, la confiance n’empêche pas la prévention. Rendez-vous indispensable à votre homologue, et ne relâchez jamais votre attention : si vous avez une technologie copiable, gardez-la chez vous et ne lâchez rien, mais ne sous-estimez pas les ingénieurs chinois ; si votre produit nécessite une gestion digitale à distance, maintenez tout le logiciel à vos côtés, quitte à perdre du temps en service après-vente ; assurez-vous que votre marque est reconnue pour elle-même en Chine ; apportez aussi des clients de chez vous à la JV qui devront devenir une part importante des résultats; etc.
Il vous reste ensuite la possibilité de créer votre propre structure en Chine. Cette solution est la plus coûteuse en investissement de départ. Créer une société à capital 100% étranger (structure Wholly Foreign-Owned Enterprise : WFOE) est possible et n’est pas très coûteux en soi, cependant le temps à passer dans l’administration, les ficelles à connaître pour éviter les détours et les soucis quotidiens de la paperasse chinoise nécessitent beaucoup de temps et d’expérience. Il vous faudra l’aide d’un agent qui, en soi, ne devrait pas coûter trop cher. En revanche, si vous décidez de partir en solo, il vous faudra aussi louer un bureau, employer au moins un salarié, et gérer la comptabilité et l’administration au quotidien. Tout ceci représentera un investissement au minimum de cent mille euros pour la première année. Ceci dit, dans cette configuration, vous aurez un contrôle solide sur votre marque en Chine, votre équipe chinoise travaillera pour votre développement exclusivement, vous aurez des retours directs et en direct du marché, vous aurez une crédibilité accrue auprès de vos clients chinois et étrangers, et surtout, vous serez suffisamment vif et réactif pour suivre le rythme chinois.
La question des ressources humaines chinoise se posera alors à vous. Embaucher un expatrié français pour diriger l’entité chinois semble être une solution rassurante et pourtant ce type de configuration mène souvent à des échecs cuisants. Si beaucoup d’entreprises préfèrent un compatriote comme référent régional, c’est parce qu’on accordera plus facilement sa confiance à un français, parce qu’on a les mêmes codes. Nombreux sont les français ou occidentaux installés en Chine depuis une décennie ou plus, mais très rares sont ceux qui ont su s’intégrer au pays en profondeur. Au contraire, les plus anciens, souvent cadres supérieurs, vivent dans des bulles de confort, n’ont pas besoin d’aligner trois mots de chinois et passent leurs vendredis soir au Bar Rouge ou au Café des Stagiaires. Avec un joli Curriculum Vitae bien polis, des expériences de managers dans plusieurs entreprises de renom, ils sauront vous raconter la Chine, mais quand il faudra passer commande dans un restaurant, ils ne seront pas plus avancés que vous car après tant d’années, ils n’auront pas trouvé indispensable d’apprendre le chinois. Quelques exceptions existent, et vous trouverez une poignée d’expatriés bien intégrés à la communauté chinoise et qui se sont créé un réseau, mais sachez qu’être marié à une chinoise ne vaut pas intégration, et qu’avoir travaillé pendant des années en Chine ne vaut pas compréhension : les vrais connaisseurs du terrain sont rares et sont souvent eux-mêmes entrepreneurs. Opter pour un directeur régional chinois peut être la meilleure solution : d’abord les chinois sont de plus en plus qualifiés, et vous serez surpris de trouver des candidats brillants, polyglottes, de confiance, et qui comprendront les méthodes occidentales tout en ayant grandis dans le monde chinois. Ce type de profile est de moins en moins rare mais de bémols sont à poser. Premièrement, les salaires des chinois ont beaucoup augmenté, et un cadre ne vous coûtera pas beaucoup moins cher qu’un expatrié si l’on compte les charges patronales et sociales qui sont très élevées (environ 50%). Ensuite, le marché du travail est très dynamique, et pour un jeune actif chinois, rester dans une entreprise plus de trois ans est déjà une prouesse ; en Chine, on augmente son salaire en changeant d’entreprise. Il vous faudra alors savoir fidéliser votre ou vos employés chinois en leur proposant de solides opportunités de développement.
Au final, cette solution de s’implanter en Chine avec sa propre structure vous coûtera économiquement, c’est certain, se lancer est une prise risque qu’il faut accepter. Mais c’est aussi, selon moi, la seule véritable solution de long terme. L’époque où l’on pouvait gagner le marché en passant par un distributeur malin et connecté sans rien investir est révolue. Si vous voulez une place en Chine, il vous faudra y mettre les moyens et mettre « les pieds dans le plat ». Prenez l’aventure chinoise comme un pari risqué mais à fort potentiel de récompense.
Geoffrey Wu-Perrot
geoffreywp@doublelink-consulting.com
Intéressé par la politique et la géopolitique, j’ai passé plusieurs années à attendre avec impatience les émissions concernant la Chine, avide d’en apprendre plus sur l’état actuel du pays d’une part de mes racines. Pourtant, plus j’en voyais, moins j’en voulais. Tout n’est pas faux mais tout est biaisé, ou presque. Je m’amuse souvent de constater que les préjugés négatifs sont souvent exagérés et qu’en effet miroir, les images positives qu’on a de la Chine sont souvent erronées.
J’ai vite compris que les experts de la Chine répondent à « cent questions sur la Chine » alors qu’ils n’y ont pas marché plus de cent pas.
C’est avec humilité et détermination que je vous propose, sous forme d’essai, une réflexion incisive qui s’attaque aux préjugés français vis-à-vis de la Chine largement influencés par la sphère médiatique que je considère dangereusement subjective. Vous lirez mes conclusions de dix ans de vie à Shanghai sur les grands sujets qui nous importent comme la récente gestion sanitaire du pays, les grands enjeux géopolitiques de l’Asie Pacifique, en passant par des analyses en profondeur de stéréotypes plus légers.
Vous comprendrez au fil de votre lecture que je n’écris pas pour réhabiliter le régime chinois ou pour dénigrer l’occident. J’ai à cœur cependant de vous proposer une image réelle de ce pays que l’on croit connaître. Je m’efforcerai, en usant de mes vécus, recherches, et convictions, d’offrir une alternative à la pensée dominante qui méprise et qui devrait chercher à poser des diagnostiques plus justes sur nos relations complexes et cruciales avec l’Empire du milieu.
A travers cet essai, j’invite le lecteur occidental à se regarder en face dans le reflet de l’œil chinois.
Geoffrey WU PERROT